JIMMY FARRAR abandonne son micro

Encore une mauvaise nouvelle qui fait mal. Encore un chapitre du Grand Livre du Rock qui s’achève. Jimmy Farrar est mort le 29 octobre 2018 des suites d’une crise cardiaque. Aux yeux du grand public, ce n’est pas une vedette qui est partie et la majorité des gens ne le connaissaient pas. Mais pour tous les « Southern rockers », c’est un immense chanteur qui nous a quittés. Immense à tous les sens du terme, aussi bien par sa gigantesque carrure que par sa voix musclée au timbre totalement original et qui ne ressemblait à aucune autre.

Injustement, on a souvent considéré Jimmy comme un chanteur de remplacement au sein de Molly Hatchet. Mais c’est sans doute grâce à lui que le groupe a survécu après le départ de Danny Joe Brown. Avec un autre « frontman », les choses ne se seraient peut-être pas aussi bien passées.

Avec un parcours atypique, Jimmy Farrar restera un héros du rock’n’roll pas si méconnu que ça. Cela méritait bien un petit hommage pour un grand artiste.

Le 8 décembre 1950, James Edwin Farrar voit le jour dans la ville de La Grange en Géorgie. Très jeune, il commence à chanter sur les titres qui passent à la radio. Ses parents ont à leur service une domestique qui possède une pile de 78 tours que le petit Jimmy écoute avidement. Dès l’âge de quatre ans, son enfance est rythmée par le chant des vieux artistes de blues.

Vers la fin de son adolescence, il va tenter sa chance à Atlanta où il chante dans les groupes Intrepid et Catt.

En 1978, il retourne dans sa ville natale où il bosse dans un job régulier pendant deux ans. Mais l’appel de la musique est le plus fort et il intègre Raw Energy, un combo qui suit le circuit infernal des bars en jouant six soirs sur sept.

En février 1980, le groupe engage un ancien roadie de Molly Hatchet qui leur conseille d’enregistrer une cassette. Un jour, le gars doit se déplacer à Macon pour recevoir un chèque de la part de Pat Armstrong, le manager d’Hatchet. Il propose à Jimmy de l’accompagner. Il lui demande aussi d’apporter la bande de Raw Energy pour la faire éventuellement écouter à Mister Armstrong qui recherche continuellement de nouveaux talents.

Après trois heures d’attente, Jimmy est invité à entrer dans le bureau du manager. Pat Armstrong place la cassette dans l’appareil et écoute le premier morceau. Il fait avancer la bande et écoute un deuxième titre puis un troisième. Il reste quelques instants sans rien dire, son visage ne laissant filtrer aucune expression. Ces quelques minutes de réflexion paraissent durer un siècle pour Jimmy. Il pense que c’est foutu mais à sa grande surprise, Armstrong lui offre de signer un contrat. Jimmy exulte. Il est ravi pour lui et son groupe mais il n’a pas tout compris. Armstrong clarifie la situation en lui expliquant que ce contrat n’est destiné qu’à lui seul et qu’il doit se décider rapidement.

Jimmy réfléchit intensément. Même si Raw Energy se débrouille bien dans le circuit des bars, jusqu’où ce groupe peut-il aller ? Bien que fidèle à ses potes, Jimmy sait qu’un tel contrat le fera passer à l’étape supérieure et qu’une occasion pareille ne se représentera pas. Conscient de la chance qui lui est offerte, il signe avec Pat Armstrong (qui était certainement au courant du départ imminent de Danny Joe Brown et avait sans doute sa petite idée en tête en découvrant la voix de Jimmy Farrar).

Trois semaines plus tard, le destin se manifeste. Un soir, Jimmy rentre chez lui après un show dans un bar local. Il vient tout juste de refermer la porte quand le téléphone se met à sonner. Qui peut bien l’appeler à deux heures du matin ?

Jimmy décroche. C’est tout simplement Pat Armstrong qui lui propose d’auditionner pour un groupe. Jimmy lui demande de qui il s’agit mais Armstrong refuse d’en dire plus. Devant l’insistance de Jimmy qui ne veut pas se déplacer à Macon pour rien, Armstrong finit par lâcher le nom de Molly Hatchet. Le chanteur baraqué accepte sans hésiter.

Il existe une autre version portée par la légende. En décrochant son téléphone, Jimmy aurait entendu un type lui annoncer « C’est Dave Hlubek de Molly Hatchet ! » et il aurait répondu « Molly qui ? ».

Cette anecdote (rapportée par Dave Hlubek) semble assez improbable car plusieurs titres d’Hatchet figuraient déjà au répertoire de Raw Energy.

Quoi qu’il en soit, un rendez-vous est pris dans un club loué pour l’occasion. Tout le matériel de Molly Hatchet trône sur la scène. Quand Jimmy se pointe, il provoque l’étonnement des musiciens, impressionnés par sa stature imposante. Il chante trois morceaux avec eux (« Bounty hunter », « Flirtin’ with disaster » et « Dreams I’ll never see ») en y mettant tout son cœur et toute son énergie. Après cette courte audition, Steve Holland aurait déclaré : « On perd notre temps. Dites à ce mec de faire ses valises et barrons nous à Jacksonville ! ». L’affaire est faite. Quand Dave Hlubek demande à Jimmy s’il veut le job, ce dernier lui répond : « Est-ce que le cul d’un cochon c’est du jambon ? ».

Jimmy se retrouve donc chanteur chez Molly Hatchet. Son premier show avec le groupe a lieu le 9 mai 1980 au King’s Dominion Amusement Park en Virginie devant… dix mille personnes. N’ayant jamais chanté que pour une cinquantaine de types à la fois, Jimmy panique à la vue de cette foule énorme et subit une hyperventilation carabinée. Il attaque « Bounty hunter » avec les jambes tremblantes mais retrouve toute son assurance au milieu du morceau. Le public l’applaudit et l’encourage. C’est gagné !

Selon Dave Hlubek, les premiers concerts ne se seraient pas tous aussi bien passés. Certains fans de base, déroutés par le nouveau chanteur et réclamant en force Danny Joe Brown, auraient balancé des chaises, des canettes et d’autres projectiles. Cette anecdote n’a jamais été confirmée.

En ce qui concerne l’ambiance interne, les débuts de Jimmy dans le groupe ne sont pas terribles. Les autres membres gardent leur distance avec ce nouveau venu qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Mais après quelques mois, beaucoup de bringues et des litres d’alcool, les choses s’arrangent car Jimmy n’est pas le dernier à téter la bouteille (il confiera d’ailleurs bien plus tard qu’il n’avait jamais bu autant de whisky que durant son passage chez Molly Hatchet).

L’arrivée de Jimmy se concrétise par un nouvel album auquel il participe activement en donnant son avis sur tel ou tel morceau et en cosignant deux titres (« Dead and gone » et « The rambler » dont il compose les paroles en moins de vingt minutes et qui se classera confortablement dans les « charts singles » américains).

En studio, il donne le meilleur de lui-même et travaille en vrai professionnel. Il enregistre ses parties vocales en cinq jours seulement (à raison de deux chansons par jour) et s’attire ainsi la sympathie du producteur Tom Werman qui préfère cent fois bosser avec lui que de subir les lendemains de cuite de Danny Joe Brown.

Vocalement, le timbre de Jimmy sonne plus clair et son registre est plus étendu que celui de son prédécesseur. Il possède aussi un sacré coffre qui donne une puissance phénoménale à son chant. Ces atouts vont lui permettre de suivre sans problème l’orientation plus heavy du groupe. En effet, les musiciens de Molly Hatchet vont ajouter encore plus de hard rock dans leur musique en durcissant le son d’origine et en s’éloignant un peu plus de leurs influences sudistes.

Il faut souligner que l’on a souvent attribué à tort à Jimmy Farrar le changement d’orientation musicale du groupe. Tout le monde était d’accord. Les mecs d’Hatchet avaient déjà amorcé ce virage et c’est Jimmy qui leur a permis de concrétiser cette évolution.

« Beatin’ the odds » devient disque d’or et se comporte bien dans les hits parades. Jimmy savoure le succès et quand il entend pour la première fois le single « Beatin’ the odds » à la radio, il se rend compte qu’il a réalisé son rêve. Les tournées se succèdent intensivement et Jimmy aligne environ trois cents concerts pour sa première année au sein de Molly Hatchet. Proche du public, il n’hésite pas à aller vers les fans et demeure très accessible sans prendre la grosse tête.

Le groupe poursuit son bonhomme de chemin et continue de remplir les stades.

Malheureusement, il se vautre avec son disque suivant. En effet, un son général trop compressé et des guitares trop métalliques relèguent « Take no prisoners » au rang de banal album de hard rock. Jimmy cosigne les deux meilleurs titres (« Bloody reunion » et « Respect me in the morning »). Il apprécie toujours autant le travail en studio mais commence à donner des signes de fatigue. Il peine à suivre le rythme effréné des concerts à répétition. De plus, sa famille lui manque et il ne supporte plus de ne pas voir grandir ses enfants. Á la naissance de son deuxième bébé, il a tout juste le temps de le tenir dans ses bras et de le redonner à sa mère. Puis, il prend son sac et repart en tournée. Il ne reverra son gosse que trois mois après.

Près de craquer, Jimmy quitte Molly Hatchet après deux ans de bons et loyaux services. Le hasard veut que son dernier concert ait lieu le 9 mai 1982 à Atlanta (exactement deux ans après son premier show avec le groupe).

De retour dans sa bonne ville de La Grange, il dégotte un travail régulier et prend soin de sa famille.

Mais le démon de la musique ne lâchera jamais vraiment Jimmy. Tout en bossant, il continuera de chanter dans divers groupes locaux (Predator, Section 8).

En 1999, il se joindra sans hésiter au Dixie Jam Band pour un concert au profit de Danny Joe Brown malade du diabète.

Il donnera épisodiquement de la voix avec les Southern Rock Allstars à partir de 2002, retrouvant ainsi son vieux complice Dave Hlubek puis Duane Roland.

En 2005, un problème de dos le forcera à quitter son boulot. Il formera alors le Gator Country Band avec des anciens de Molly Hatchet (Duane Roland, Steve Holland, Bruce Crump et Riff West).

Il aurait pu continuer à faire hurler les enceintes mais le destin lui joue un sale tour. En 2008, il est victime d’une attaque cérébrale. Heureusement, il s’en tire sans trop de dommages à part une légère faiblesse dans le bras gauche.

Cela ne l’empêche pas de rejoindre des groupes du coin dont Hanging Tough (son dernier combo en date).

Il vit tranquillement sa vie de vieux chanteur mais la maladie le rattrape.

En mai 2017, il est hospitalisé suite à un malaise et il fait une crise cardiaque aux urgences. Il en subit deux autres avant que les médecins puissent l’opérer d’un quadruple pontage. Cette intervention le laisse extrêmement fatigué et il a du mal à récupérer.

Sa santé ne s’améliore pas et il retourne à l’hôpital en 2018. En plus de son cœur malade, son foie et ses reins donnent des signes de faiblesse. Les médecins ne donnent aucun espoir à sa famille qui décide de le ramener chez lui afin qu’il passe ses dernières semaines le plus agréablement possible.

Son cœur usé le lâche le matin du 29 octobre. Jimmy s’éteint dans son lit après une vie dédiée à sa famille mais aussi au rock’n’roll. Une vie surtout marquée par ses deux années dans un groupe légendaire où il a laissé son empreinte et avec lequel il a parcouru tous les États-Unis.

Un destin hors normes pour un grand chanteur au cœur d’or et à la voix puissante !

Une page s’est tournée. Le voyageur s’en est allé.

The rambler is gone !

Olivier Aubry


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